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Premier syndicat des professionnels de l’immobilier, la FNAIM a commandé à Laurent Grandguillaume, ancien député et vice-président de la Fondation « Travailler Autrement », un rapport pour appréhender les mutations de l’emploi et du travail dans le secteur de l’immobilier. Il a été accompagné dans l’écriture de ce rapport par Aude Gombert, juriste en droit social à la FNAIM. Selon ses auteurs, ce rapport est un appel à un changement de postures dans un marché en pleine transformation.
A l’instar de nombreux secteurs économiques, l’immobilier connaît de profondes mutations de son modèle économique. D’après les derniers chiffres fournis par les Chambres de commerce et d’industrie, la France compte désormais plus de 69 000 agents commerciaux indépendants. Le travail indépendant est désormais majoritaire (53,5%) par rapport à l’emploi salarié. Certains estiment que ce chiffre pourrait être largement sous-estimé avec une proportion d’indépendants qui atteindrait en réalité 70% (source). Conséquence de l’essor des réseaux de mandataires, ce changement de paradigme pousse aujourd’hui les acteurs de l’immobilier dont la FNAIM à se saisir de cette question pour repenser les relations sociales.
Sébastien Bareau, fondateur de Patrimo Portage, pointait ainsi en 2020 dans une note transmise aux acteurs du secteur, le fait qu’il existe désormais au sein des agences et des réseaux immobiliers deux catégories de personnes qui collaborent au quotidien mais qui ne bénéficient pas de la même couverture sociale et juridique. Les fonctions commerciales, désormais largement externalisées à des travailleurs indépendants, côtoient les autres fonctions assurées par du personnel salarié au sein de ces agences et réseaux.
On relèvera enfin que la crise sanitaire a agi sur le secteur immobilier non pas comme un déclencheur mais comme un accélérateur des mutations initiées par la révolution numérique, notamment dans les relations d’emploi et de service.
Le portage salarial est une nouvelle forme d’emploi basée sur une relation tripartite entre l’agence immobilière (ou le réseau), le négociateur indépendant et l’entreprise de portage salarial. Ce dispositif vise à associer la liberté et la flexibilité de l’indépendance avec la sécurité du salariat.
Concrètement, le négociateur immobilier indépendant signe avec une entreprise cliente (agence ou réseau immobilier) un mandat pour signer des actes en son nom. Il se met d’accord avec son mandant sur la nature, la durée et le prix (taux de commission) de sa mission. Il signe ensuite un contrat de travail (CDI ou CDD) avec une société de portage salarial. Celle-ci va enfin contractualiser avec l’entreprise cliente pour mettre en place la relation tripartite.
Chaque mois, la société de portage salarial facture les commissions du négociateur à l’agence ou au réseau pour ensuite les transformer en salaires. Le négociateur est payé sur la même base tarifaire et selon les mêmes modalités que l’agent commercial. Le portage salarial n’apporte donc pas de coût supplémentaire à l’agence ou au réseau et sa gestion reste inchangée.
Le portage salarial est ainsi devenu un excellent moyen d’offrir aux professionnels de la transaction immobilière une couverture sociale couplée à une assistance juridique, administrative et comptable.
De nombreux acteurs de l’immobilier ont longtemps été rétifs à la solution du portage salarial. Ainsi, la FNAIM et la SNPI publiaient en 2017 dans le Journal de l’Agence une tribune pour prendre position contre la solution du portage salarial dans l’immobilier. A leur avis, si rien n’interdisait formellement le portage salarial dans l’immobilier, plusieurs textes législatifs militeraient pour « considérer qu’un négociateur immobilier ne peut pas être un salarié porté ». Ils craignaient alors que cette incertitude soit à l’origine de nombreux contentieux. Nous verrons qu’il n’en fut rien.
En dépit de cette prise de position, le portage salarial a continué à se développer dans l’immobilier et plus particulièrement sur le segment de la transaction immobilière. Il apparaît alors comme une solution alternative au statut d’agent commercial indépendant exercé majoritairement sous le régime de la micro-entreprise. En effet, rappelons que ce sont les négociateurs immobiliers qui choisissent d’exercer leur activité en portage salarial plutôt que d’opter pour le régime de la micro-entreprise. Ils choisissent cette solution pour renforcer leur niveau de protection sociale. Ils peuvent ainsi bénéficier de l’assurance chômage, d’une mutuelle d’entreprise, de la prévoyance et d’un rattachement au régime de retraite des salariés.
Nous pensons que l’hostilité initiale au portage salarial était fondée sur une mauvaise perception. Certains acteurs voyaient le portage salarial comme un moyen de phagocyter l’emploi salarié, une sorte de cheval de Troie de l’Ubérisation du secteur. Or, ce n’est pas ce qu’on observe. L’essor du travail indépendant précède le portage salarial. Ce mode d’emploi vient, au contraire, rétablir une forme d’équilibre dans des secteurs où l’emploi salarié décline massivement au profit d’un statut de travailleur indépendant ultra-flexible mais aussi ultra-précarisé. Ainsi, il est intéressant de dresser un parallèle entre le secteur de la transaction immobilière et celui des plateformes numériques de type Uber ou Deliveroo. Le rapport « Réguler les plateformes numériques de travail » remis au premier ministre en décembre 2020 par Jean-Yves Frouin, ancien président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, préconise le recours à des tiers employeurs pour sécuriser la relation des travailleurs avec les plateformes. Le portage salarial et la coopérative d’activité et d’emploi sont ainsi les deux pistes privilégiées dans ce rapport.
Le portage salarial est aujourd’hui utilisé par environ 10 % des négociateurs immobiliers, soit plus de 10 000 professionnels. 90 % des indépendants qui optent pour le portage font le choix de conserver cette solution. L’essor du travail indépendant et le recours consécutif à un dispositif plus sécurisé comme le portage salarial sont aujourd’hui des faits. Ils s’imposent aux acteurs de la transaction immobilière comme ce fut le cas, il y a quelques années, dans les secteurs de l’informatique ou de la formation professionnelle. La question pour ce secteur – comme pour ceux qui l’ont précédé – n’est donc plus de lutter contre cette réalité mais plutôt de savoir comment il convient de travailler intelligemment et de manière concertée à la mise en place de règles claires pour sécuriser les relations d’emploi et de travail de ses acteurs.
Voyons désormais en détail les objections au portage salarial dans l’immobilier et les réponses qu’il convient désormais d’y apporter à la lumière du rapport de la FNAIM.
Nous considérons ici deux corpus législatifs – avec d’un côté la loi Hoguet et de l’autre le portage salarial – qui n’ont pas été pensés pour fonctionner l’un avec l’autre.
Rappelons que le portage salarial n’existait pas au moment de la rédaction de la loi Hoguet en 1970. Que dit cette loi ? « Toute personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier (…) justifie de sa qualité et de l’étendue de ses pouvoirs dans les conditions fixées par décret ». Ce texte ne précise pas le statut de la personne habilitée. Elle peut, en effet, être salariée ou non salariée. `
Concernant la législation relative au portage salarial, aucun texte ne traite spécifiquement de l’activité immobilière. On notera toutefois qu’aucun texte n’interdit le portage salarial des négociateurs immobiliers alors que, par exemple, l’article L 1254-5 du Code du travail a clairement exclu la possibilité d’utiliser ce dispositif pour les services à la personne. Si le législateur avait voulu interdire le portage salarial pour cette profession, il l’aurait clairement indiqué. Donc, selon le principe qui veut que « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché », on peut affirmer que le portable salarial immobilier reste autorisé à défaut d’être clairement encadré. En fait, comme souligné par le rapport de Laurent Grandguillaume, les blocages relèvent davantage de postures que d’une incompatibilité légale.
Le formulaire CERFA permettant la délivrance d’une délégation de la carte T n’indique que deux statuts : salarié et agent commercial. Il n’existe pas, en effet, de case « portage salarial ». Toutefois, CCI France reconnaît les CERFA dont la case « salarié » est cochée par les agences ou réseaux pour réaliser la délégation de leur carte T, puisqu’il s’agit du statut juridique du négociateur immobilier en portage salarial.
Le rapport préconise néanmoins de faire évoluer le formulaire CERFA en créant une case « salarié en portage salarial » pour clarifier définitivement le cadre règlementaire du portage salarial appliqué au secteur de la transaction immobilière. Insistons sur le fait qu’il s’agirait alors d’une simple évolution d’un document administratif étant donné qu’aucun blocage législatif ou règlementaire n’empêche une telle évolution.
L’entreprise de portage salarial n’assure pas une activité de transaction immobilière. Elle ne signe pas le mandat. Elle n’a donc pas besoin d’être titulaire d’une carte professionnelle. Elle se contente d’assurer la gestion administrative et sociale de la prestation du négociateur porté comme elle le fait pour les autres métiers qui utilisent le portage salarial.
D’après l’article L. 1254-3 du Code du travail, le recours au portage salarial par une entreprise cliente est possible :
Le premier point vise à éviter que le recours au portage salarial se substitue à un poste de salarié « classique ». Ce n’est pas le cas des négociateurs immobiliers indépendants puisqu’il s’agit d’un choix entre un statut d’entrepreneur individuel (généralement sous le régime de la micro-entreprise) et le portage salarial.
Quant au second point, c’est bien l’expertise du négociateur immobilier pour une prestation ponctuelle (celle définie par le mandat) qui est recherchée : ses compétences et sa connaissance du marché sur une zone géographique donnée. Il s’agit bien d’une expertise dont l’agence ou le réseau ne dispose pas.
Il serait ainsi assez paradoxal de considérer comme tout à fait légal le recours au portage salarial pour un consultant informatique intervenant au sein d’un service informatique et impossible le portage salarial d’un négociateur immobilier intervenant au sein d’un réseau de mandataires.
Rappelons également que la règlementation du portage salarial a prévu un garde-fou puisque le salarié porté doit disposer au minimum d’une qualification professionnelle de niveau III (Bac+2) ou d’une expérience significative d’au moins 3 ans dans le même secteur d’activité.
Le choix entre le portage salarial ou le statut d’agent commercial consiste pour une agence ou un réseau immobilier à décoder les risques juridiques. Dans le second cas, les risques sont bien plus nombreux : risque de requalification de la relation de travail, risque de contentieux au titre de la dépendance économique ou risque de devoir régler les cotisations sociales des indépendants qui ne s’en acquitteraient pas.
On relèvera également qu’il n’existe pas d’exemple à ce jour dans la jurisprudence de négociateur immobilier en portage dont la relation avec l’agence cliente aurait été requalifiée en contrat de travail.
Enfin, concernant sa prestation, le négociateur immobilier en portage salarial travaille sous l’assurance en responsabilité civile et professionnelle de l’entreprise de portage salarial. En cas de litige, c’est bien celle-ci qui pourrait être mise en jeu.
Alors que la formation professionnelle est devenue un enjeu majeur pour la plupart des secteurs d’activité, le portage salarial peut se révéler un atout précieux pour celui de l’immobilier. Les entreprises de portage salarial cotisent, en effet, à la formation et peuvent donc prendre en charge les formations obligatoires des négociateurs immobiliers. Ceux-ci peuvent ainsi se former sur les exigences réglementaires (loi ALUR) ou développer de nouvelles compétences.
5 mai 2021
Catégorie(s) : Juridique
Cette page a été rédigée par
Vincent Ribaudo
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